Les Autochromes
Lyon, le 17 décembre 1903, les frères Lumière inventent la photographie en couleurs
Déposée sous forme de brevet le 17 décembre 1903 mais dévoilée à l’Académie des Sciences le 30 mai 1904, la plaque Autochrome Lumière, inventée par Louis Lumière, est le premier procédé de photographie en couleur. Le secret de cette invention réside dans l’emploi de… fécule de pomme de terre teintée, permettant de capter et filtrer la lumière.
Les couleurs sont recomposées à partir de la juxtaposition de cette multitude de points colorés qui donnent un charme pictural à ces photographies. Ainsi, comme dans la peinture pointilliste, c’est la globalité du regard qui recompose l’impression de couleurs. La plaque Autochrome Lumière fut commercialisée à partir de 1907 et connut immédiatement un grand succès.
Des milliers de photographies ont été réalisées dans le monde entier au début du XXe siècle avec ce procédé que Louis Lumière considérait comme son chef-d’œuvre. Aujourd’hui encore, sa restitution minutieuse des couleurs et ses qualités de conservation nous permettent d’apprécier la beauté de ces prises de vues. Les photographies de l'exposition "La Vie en Couleur!" sont composées de nombreuses scènes privées mais également de clichés offerts à Louis Lumière par des amis autochromistes, comme les images de la Grande Guerre prises par Jean-Baptiste Tournassoud.
L’Institut Lumière, qui abrite le Musée Lumière et une grande salle de cinéma dans le quartier de Monplaisir sur le site de naissance du Cinématographe et des Autochromes, a été chargé par les héritiers de Louis Lumière de promouvoir ce patrimoine et de le faire connaître dans le monde entier.
Histoire de l'Autochrome
Louis Lumière était déjà le père de la plaque photographique instantanée et du Cinématographe lorsqu’il déposa fin 1903 avec son frère Auguste un brevet pour un nouveau procédé d’obtention de photographies en couleur : l’Autochrome.
Simplifiant le procédé complexe de trichromie obligeant à trois prises de vues successives ensuite superposées, l’Autochrome utilise pour filtrer la lumière un seul écran trichrome composé de millions de grains de fécule de pomme de terre teintés en trois couleurs. Ce mélange était étalé sur une plaque de verre enduite de vernis, puis recouvert d’une émulsion noir et blanc. La plaque ainsi obtenue était prête à l’emploi et son développement, identique au procédé noir et blanc de l’époque, ne nécessitait en sus qu’une inversion en positif de l’image négative impressionnée. Au final, l’œil ne perçoit ainsi à travers l’émulsion que les grains de fécule correspondant aux couleurs du sujet.
Après le brevet, Louis Lumière poursuivit ses recherches afin de mettre au point la complexe fabrication industrielle des plaques. Après des années d’efforts, la commercialisation de l’Autochrome commença en 1907.
Ce fut un succès immédiat et durable : l’Autochrome resta sans réelle concurrence durant une trentaine d’années, jusqu’à l’apparition des procédés couleurs chimiques remplaçant sur pellicule cette fragile diapositive sur verre.
Avant l'invention de la plaque autochrome par Louis Lumière, la photographie en couleur était un médium hors de portée de l’amateur, fut-il fortuné ou averti. Les méthodes inventées par des précurseurs tels que Louis Ducos du Hauron dans les années 1890 nécessitaient une longue préparation, des contraintes comme la prise de trois clichés identiques au travers de filtres colorés que l’on devait ensuite superposer, un long temps de pose comme au premiers temps de la photographie, et restaient finalement plus proches de l’expérimentation scientifique que de procédés fiables aux résultats constants.
Si seulement quelques mois séparent le brevet du Cinématographe et sa production en série, ce ne sont pas moins de 4 années d’essais, de tentatives et de mises au point successives qu’il aura fallu à Louis Lumière pour passer du brevet pris en 1903 pour " l’obtention de photographies en couleurs " à la commercialisation des premières plaques en 1907. Mais le résultat était à la mesure de ces efforts : il était désormais possible de produire de manière industrielle (jusqu’à 6000 plaques par jour en 1913) des plaques sensibles au mode d’emploi simplifié permettant l’obtention en un seul cliché d’images en couleur. En outre ce procédé s’imposera pendant près de 30 années comme l’un des seuls moyens de fixer durablement sur une image photographique le bleu du ciel ou la carnation d’une demoiselle.
Pour parvenir à ce résultat, Louis Lumière améliora les premières tentatives de filtrage trichrome en utilisant un mélange homogène de grains microscopiques de fécule de pomme de terre teintés avec des couleurs primaires (rouge-orangé, vert et bleu-violet).
Ce mélange (7000 grains au mm carré) étalé sur une plaque de verre préalablement enduite d’un vernis poisseux recevait du charbon de bois pulvérisé pour obstruer les minuscules interstices entre chaque grains de fécule, puis se voyait laminé à la pression de 7 tonnes par centimètre carré pour uniformiser la couche et augmenter sa transparence à la lumière. La mosaïque de sélection trichrome ainsi obtenue était alors recouverte d’un vernis imperméable, lui-même recouvert d’une mince émulsion noir et blanc panchromatique au gélatino-bromure d’argent. La plaque ainsi obtenue, disponible dans les formats courants, était utilisable dans n’importe quelle chambre photographique, stéréoscopique ou non.
Seules contraintes : la pose d’un filtre jaune sur l’objectif pour réduire la dominante bleue de la lumière du jour, un temps de pose moyen d’une seconde et la mise en place inversée de la plaque dans l’appareil.
C’est-à-dire avec le verre du côté de l’objectif, afin que les rayons lumineux traversent d’abord la fécule colorée avant d’impressionner l’émulsion : de ce fait, les rayons lumineux réfléchis par le sujet coloré traversaient plus ou moins la couche de fécule selon la couleur plus ou complémentaire des grains rencontrés sur son passage, impressionnant ainsi l’émulsion de façon plus ou moins intense. Une fois la plaque développée et inversée en positif, on pouvait - en regardant la plaque par transparence ou en la projetant comme une diapositive - découvrir une image en couleurs, les couleurs même des grains de fécule restés visibles au travers de l’émulsion... Pour plus d'informations scientifiques, consultez l'excellent site de Jim Scruggs sur la théorie de la couleur.
L’effet coloré obtenu n’est certes pas le reflet fidèle de la réalité, plutôt son interprétation dans des teintes pastels rehaussées par la transparence du support, mais c’est justement cette interprétation qui donne toute leur valeur à ces images. Ces clichés sont en effet à mi-chemin entre la photographie et la peinture, de par l’effet pictural donné par la granulation décelable de la fécule et sa gamme de coloris, mais aussi par le choix des sujets imposé par le temps d’exposition, suffisamment rapide pour fixer la pose d’un être vivant, mais pas son mouvement. De ce fait, ces images un peu statiques se rapprochent d’un tableau : il ne s’agit pas d’un instantané, mais de la reproduction d’un instant figé et composé, enluminé par une impression, une sensation de couleur générée par de multiples touches de pigments modelés par le pinceau de la lumière. C'est cette spécificité, qu'on pourrait au strict point de vue du progrès des techniques photographiques qualifier "d'imperfection", qui contribue à donner à un autochrome, véritable photographie picturale, une charge émotionnelle et esthétique si particulière.
En 1932 apparaît le Filmcolor (livré en plan film), équivalent sur pellicule de la lourde et fragile plaque autochrome sur verre, qui sera bientôt abandonnée. Puis viennent le " Filmcolor ultra-rapide " et le " Lumicolor ultra-rapide " (pellicule en bobine) qui bénéficient d’émulsions douze fois plus rapide et permettent enfin la photographie en couleur de sujets en mouvement ou à l’ombre. Louis Lumière essaiera alors de faire appliquer le procédé autochrome au cinéma. Il fera tourner de nombreux essais, notamment lors de l’Exposition de 1937, qui auraient pu devenir une alternative au Technicolor en plein essor aux États-Unis, mais qui ne connurent pas de développement commercial, peut-être à cause de la guerre. En photographie, le procédé autochrome ne résista pas devant l’apparition du Kodachrome (1935) et de l’Agfacolor (1936), beaucoup mieux adaptés aux diapositives en formats réduits comme le 6x6 et le 24x36, bientôt suivis par la version négative de l’Agfacolor qui a vulgarisé le tirage sur papier d’épreuve en couleurs.
Grâce aux milliers de clichés réalisés par des autochromistes amateurs ou professionnels, et conservés notamment au Centre Albert Kahn, à la Société française de photographie, à l’Institut Lumière, à la Library of Congress, à la National Geographic Society [Washington DC] et à d'autres... les couleurs du premier tiers du 20e siècle nous sont parvenus quasiment intactes. A la fois par ce regard rétrospectif qu’il nous offre et par ses qualités formelles, c’est un véritable et singulier patrimoine photographique qui a pu être constitué de par le monde avec le procédé autochrome Lumière dorénavant centenaire.