Les films Lumière
Dès 1895, la parution de compte-rendus élogieux décrivant le bien-fondé de l’invention suscite des demandes d’achat pour le Cinématographe. Mais les Lumière préfèrent conserver la main-mise sur son exploitation, en mettant en place début 1896 un système où des concessionnaires achètent l’exclusivité des projections dans une ville française ou dans un pays étranger. Ce sont souvent des distributeurs de produits photographiques Lumière tentés par la nouveauté des images animées.
En échange d’un fort pourcentage des recettes (50%), ils reçoivent en prêt un Cinématographe avec son équipement de projection et des films, ainsi que du personnel formé à Lyon pour sa mise en œuvre, personnel rémunéré par les concessionnaires. Seule une partie des opérateurs envoyés par la firme est habilitée à effectuer des prises de vues, et dispose donc du matériel nécessaire et de bandes vierges. D’autres, non liés à un concessionnaire en particulier, effectuent de véritables tournées à travers un continent Des images tournées un peu partout en France et dans le monde, de l’Autriche-Hongrie au Mexique en passant par l’Australie et l’Indochine (soit 31 pays étrangers actuels) viennent ainsi nourrir les programmes des projections.
L’année suivante, le système des concessions est abandonné, sans doute en raison de la multiplicité des postes de projection et de leur éloignement géographique qui rendait difficile la centralisation depuis Lyon, mais aussi en raison de la concurrence qui discute âprement à Lumière le monopole des premiers mois. Le matériel de projection, de prise de vue et les films sont alors mis en vente, d’abord aux concessionnaires et à des opérateurs désirant se mettre à leur compte, puis au public à partir de mai 1897. Divers catalogues de vente sont édités en plusieurs langues et présentent la liste des vues et du matériel cinématographique disponibles.
La production connaît ensuite un net ralentissement (815 vues tournées de 1895 à 1897, 613 de 1898 à 1905), et se nourrit essentiellement des vues rapportées par quelques opérateurs encore en liaison avec la maison Lumière, comme Alexandre Promio ou Gabriel Veyre, et de celles envoyés à Lyon par d’anciens concessionnaires ayant acquis des Cinématographes, comme Vittorio Calcina en Italie.
Le véritable déclin de la production commence à partir de 1901, année où moins de 50 films - de moins d’une minute, rappelons-le - sont tournés. Ensuite, les nouveautés seront seulement quelques actualités et quelques tentatives de films à trucs en plusieurs bobines qui ne suffiront pas à renouer avec les faveurs du public. Les projections du Cinématographe à Lyon cessent en juillet 1902, et en 1907 paraît le dernier catalogue de vues Lumière, en fait la simple réedition de celui de 1905. Dès lors, le seul lien de la société Lumière avec le cinéma sera la fabrication de pellicule, dorénavant au standard de 4 perforations rectangulaires de chaque côté de l’image.
Dans les années 30, Louis Lumière continuera de son côté à inventer des procédés de cinéma en relief puis de cinéma en couleurs par l’Autochrome pour tenter d’améliorer la reproduction de la réalité à l’écran.
En héritage de cette aventure, il ne nous reste pas moins de 1408 films du catalogue sur 1428 répertoriés, cas unique à signaler pour une production des premiers temps du cinéma, auxquels plus de 600 autres films hors listes viennent s’ajouter. Il faut sans doute y voir l’aspect positif de l’arrêt de la production : les négatifs ont été conservés et nous sont parvenus quasiment intacts, tandis que tant d’autres maisons de productions épuisaient leurs négatifs en multipliant les tirages et recyclaient les bandes après exploitation afin de réduire les coûts.
Sur le plan de l’histoire du cinéma, la conservation quasi complète de cette production permet d’avoir un nouveau regard sur ces films. Longtemps dépeints comme peu inventifs sur le plan formel car invariablements tournés en cadre fixe et en une seule prise, les vues Lumière présentent pourtant une centaine de travellings (ou "panoramas " comme on le disait à l’époque) et autant de bandes constituées de plusieurs plans. La valeur de leurs images préservées tient aussi dans le témoignage qu’elles apportent sur le tournant du siècle, à la fois par l’intérêt documentaire de leur contenu et par les choix des sujets qui reflète une vision partiale et partielle sur le monde et donc l’idéologie du moment.
Ces comédies, ces expositions, ces vues de villes et de paysages, ces scènes de la vie quotidienne où apparaîssent à l’occasion des membres de la famille Lumière, mais aussi ces actualités officielles et ces défilés et autres exercices militaires (en forte proportion) sont autant de facettes qui forment un voyage de 24 heures à passer en compagnie des Lumière...